Heather Jeanne : Ils assistent à toutes les étapes de travail – pas seulement à la présentation finale.
Tarnagda : Oui, mais, pour citer Saint-Exupéry : “C’est dans les difficultés que l’homme se mesure.” C’est quelque chose d’assez réjouissant parce qu’on tire de l’énergie et de l’enthousiasme sur le visage des gamins qui sont là, qui regardent ; des femmes qui sont là – tu sens l’émerveillement dont je parle. Ils vivent le beau. Et tu sens tout d’un coup que c’est nécessaire.
Heather Jeanne : Ce ne sont pas les spectateurs de tous les jours, qui vont normalement au théâtre.
Tarnagda : Exactement. C’est le côté populaire. Le fait de s’assoir dans une cour avec une femme qui n’est pas allée à l’école, et puis un homme local, et un occidental, puis des jeunes enfants, et des mécaniciens, des marchands…
Heather Jeanne : Il y avait des chauffeurs de moto qui se sont arrêtés pour voir ce qui se passait, qui sont restés pour assister aux spectacles…
Tarnagda : Voilà. Et ça, c’est magnifique.
Heather Jeanne : Quand je discutais des problèmes de manque de public avec des artistes au Bénin et au Togo, on me dit toujours qu’il faut créer un nouveau public qui a l’habitude d’aller au théâtre, parce que si on n’en a pas l’habitude dès un jeune âge, on ne va jamais commencer. Tu crois, alors, que ce festival aide avec ça ?
Tarnagda : Bien sûr. C’est le fait de créer une communauté qui est important. C’est quand-même 3,000 spectateurs par jour pendant le festival.
Heather Jeanne : Ça aide à changer des idées par rapport à l’importance du théâtre et de l’art dans la vie ?
Tarnagda : Ah oui ! Et on le voit déjà. Il y a un œil de spectateur qui se met en place ; il y a un regard, une critique. On commence à donner son point de vue sur un spectacle. Les gens commencent à être exigeants. Et c’est de cette façon que le théâtre est politique. Et du coup, comme ils commencent à être exigeants, ils commencent eux-mêmes à constituer le public du théâtre. C’est comme ça que ça se construit : par effet de contagion, ils vont contaminer les autres, et finalement, ça se disperse partout dans la ville.
Heather Jeanne : Tu fais, alors, des efforts pour parler à propos de la politique dans ton théâtre, et ainsi d’ouvrir des discussions au public ?
Tarnagda : Oui, c’est une discussion sociale, le théâtre. Quand on écrit une pièce, c’est un prétexte au rassemblement en vue d’échanger des idées. C’est quand on parle de nos réalités qu’on les transcende. On crée une communauté, et surtout, on crée des liens entre les gens. Pour que les gens viennent se réunir, il faut que l’objet qui les réunisse les concerne, les intéresse, leur parle.
Par exemple, avec mon texte, Sank, ou la patience des morts, c’était [pour moi] fondamental d’interroger cette histoire-là. [Cette pièce de théâtre, sortie en 2016, traite sur les relations entre l’ancien chef d’état socialiste Thomas Sankara et son camarade-en-armes/assassin, l’ancien président, Blaise Compaoré.] En tant qu’auteur, j’avais le devoir de l’interroger, et de partager cette interrogation avec les habitants du Burkina Faso, et ensuite, avec le reste du monde, pour qu’on s’approprie notre histoire, pour que nous analysions notre histoire, que nous la prenions en charge.
Heather Jeanne : J’ajouterais que Terre rouge (2011) – l’échange des lettres entre deux frères, l’un en Europe et l’autre en Afrique – ça aussi, c’est un texte politique.
Tarnagda : J’aime toujours mêler l’intime et la politique. Parce que l’intime permet d’ouvrir. Dans Terre rouge, il s’agit de deux frères qui se parlent. La plupart des gens ont des frères et des sœurs. Donc ils se retrouvent tout de suite concernés par ce dont on parle. D’une façon, c’est comme si on raconte des histoires qui interpellent les spectateurs, les histoires dans lesquelles ils se reconnaissent.
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